es formes indicibles. Des gens. Il fait noir. Leurs corps sont raides, bougent rapidement. Leurs danses sont déconstruites, déviantes, démantibulées, violentes, urgentes. Un mince rayon de lumière les traverse momentanément, ralentit le temps, éclairant leurs peaux blafardes, leurs cernes. Les tracksuits collent aux corps. La musique les pilonne de cadences soutenues et de fréquences éternelles. Les corps sont trempés. La sueur semble glisser de leurs chairs pour remplir l’espace jusqu’à ce que tous y nagent. Soudain le matin, doux et brûlant. Le soleil. Le silence marqué d’un acouphène comme une pression insoutenable, comme le poids d’une baleine échouée. À nouveau les formes indicibles. Un tapis Ikea taché. Un enfant-adulte au sol. Un Nintendo 64. Un appartement qui aurait du potentiel, si seulement… Le drywall est mouillé, bombé par la pression de l’eau qui n’attend qu’à percer les murs, qu’à envahir l’espace. La baleine, amorphe. Si seulement cette chambre n’était pas au fond de l’océan.
Entre l’extase éternelle et l’apathie quotidienne, Vivances propose une exploration de l’anxiété et de la dépression. À travers le spectre du regard de ceux qui nous aiment, l’oeuvre tente de représenter autrement, de représenter sensoriellement et d’une façon que l’on n’aurait pas encore vu et vécu sur scène, ce qu’est la sensation d’une dépression, de la plongée dans les bas-fonds de l’anxiété, de la comorbidité, du flirt avec le suicide.
Vivances c’est un dispositif vidéo et audio complexe qui fait entrer le spectateur dans la réalité sensible d’un quotidien dicté par les troubles de santé mentale.
Des projections vidéo holographiques (Pepper’s Ghost) créent un univers énigmatique où formes fantomatiques, flous et présences oppressantes se succèdent et disparaissent. En contrôlant les angles et la quantité de lumière réfléchie sur un écran transparent, des effets de superposition et de dédoublement jouent avec l’image des comédiens. Soudainement, ils apparaissent, disparaissent, flottent, se dissocient, sont à la fois présents et absents ou vus de haut. À l’instar des sensations produites par l’anxiété et la dépression, le dispositif permet de matérialiser la nature accablante des espaces qu’on habite en la traversant et la grandeur des pensées qui nous oppressent.
Le travail du son amplifie ce sentiment. Le dispositif audio ultra sensible, fait de micros à condensateur et de micros-contacts dissimulés partout dans l’espace donne de l’envergure au texte, à la parole, au son. Le moment devient sensible, fragile, tendu, accablant. La sensibilité des microphones rend la parole éminemment intime et immédiate, du registre de la pensée plutôt qu’une parole réfléchie. Elle devient un phénomène que l’interprète constate dans le moment de l’énonciation, comme s’il en venait lui-même à douter qu’il parle. Le texte qu’il déclame accentue cette sensation. En partie improvisé et bâti sur des jeux de liste que les interprètes doivent constamment répéter et compléter, le texte devient une longue répétition de mots qui finissent par perdre leur sens et la parole gagne à travers cet exercice, une nature sensorielle et expérientielle.
Vivances n’est pas un projet autobiographique. Ce n’est pas une histoire de quête identitaire. Ce n’est pas un coming-of-age. Loin de là. Vivances c’est une immersion dans les troubles de santé mentale. Ceux qui passent un peu inaperçus, mais qui ne font pourtant pas moins mal.