n 1948, une cabine téléphonique est installée en plein désert des Mojaves, à la frontière entre le Nevada et la Californie, à vingt kilomètres de toute forme de civilisation. Destinée à un projet minier qui ne verra finalement jamais le jour, la cabine est abandonnée, tombe dans l’oubli et devient l’unique témoin de la vie humaine dans ce paysage désertique. Cinquante ans plus tard, elle est redécouverte accidentellement par un randonneur. Préservée malgré le passage du temps, elle fait figure de relique intemporelle d’une autre époque. Ainsi naît la légende du Mojave Phone Booth attirant des gens du monde entier qui l’appellent pour partager des fragments de vie. Alors qu’elle devenait un véritable lieu de pèlerinage, l’écosystème fragile du désert est bouleversé par l’augmentation du trafic piéton. Au début des années 2000, les autorités sont dans l’obligation de la démanteler.
Cette histoire, couplée à son intérêt pour la collapsologie – courant de pensée qui envisage les risques, causes et conséquences d’un effondrement de la civilisation industrielle – inspire à Guillaume Saindon la création d’une installation immersive et participative « Ce qui reste de nous ».
« Ce qui reste de nous » invite à réfléchir au statut changeant des objets qui peuplent notre quotidien et nos mémoires. Autrefois omniprésentes, aujourd’hui peu à peu invisibilisées, les cabines téléphoniques sont le marqueur d’une époque révolue. Quelle est alors la valeur des conversations qu’on y aura eues, des graffitis qu’on y aura écrits ou de l’abri qu’elles nous auront fourni ? Et finalement, que signifient ces traces que nous laissons derrière nous en tant que société et en tant qu’individus ?
« Ce qui reste de nous » se décline en deux volets distincts. Le premier invite le spectateur à entrer dans une cabine téléphonique et à décrocher le téléphone pour vivre une expérience immersive et participative. Du combiné au clavier tactile en passant par l’écran numérique, tout a été « reverse engineered » pour en prendre le contrôle grâce aux technologies numériques. Au fil de l’expérience, le visiteur élabore son propre scénario à l’aide du clavier et entend les extraits sonores directement dans le combiné. Plus les extraits s’enchaînent, plus la cabine semble prendre vie pour devenir un personnage à part entière. Guidant le spectateur à travers sa réflexion et développant un rapport de proximité avec lui, elle l’invite à se confier. Grâce à des transducteurs, les surfaces vibrent pour amplifier l’expérience sensible et les fenêtres, munies de pellicules électrochromiques, peuvent être opacifiées sur commande, plongeant le spectateur dans un univers où ses sens sont très stimulés. C’est d’ailleurs en mettant à profit la réception sensorielle du public que l’expérience cherche à véhiculer son propos. Finalement, chacun en ressort avec un ressenti différent et personnel, riche de sens et parfois perçu de manière presque inconsciente.
Le second volet propose une expérience plus décentralisée. Lorsque la cabine est installée en ville, une application web active les cabines fonctionnelles alentour et permet aux gens de vivre l’expérience autrement. Une version plus avancée du projet permettra également aux spectateurs d’enregistrer eux-mêmes les messages qu’ils souhaiteraient laisser au monde après leur passage.
Au-delà de l’aspect technique, « Ce qui reste de nous » offre un moment individuel de réflexion presque méditatif. Dans cet espace où l’on ressent une forme d’intimité, d’anonymat et où l’on se sent isolé du tumulte extérieur, chacun entre avec des souvenirs propres à son expérience personnelle. Et si l’idée de cabine téléphonique touche aussi à l’universel et nourrit notre imaginaire collectif, elle est avant tout le symbole du temps qui passe et d’un monde en constante évolution.
Pensons aux traces, au legs que nous laisserons aux générations à venir…